Quintessence d’une certaine tradition culturelle française, la Comédie-Française est l’une des plus anciennes et des plus importantes institutions théâtrales du monde. Pour la première fois, une caméra pénètre dans le monde du travail quotidien de ses comédiens, de ses techniciens, de son administration. Et cette caméra est celle du grand documentariste américain Frederick Wiseman, qui, en près de trente années, a développé une oeuvre exceptionnelle d’une trentaine de longs métrages. Wiseman applique ici sa méthode de travail habituelle : pas d’interview, pas de commentaire, un tournage effectué avec une équipe réduite qui « traîne là », selon l’expression du cinéaste. Le film se veut plus qu’un reportage, plus qu’un dossier, plus qu’une enquête: au cours des semaines et des mois de montage, le travail d’observation va devenir discours. La Comédie-Française: plus de trois cent ans d’histoire, Molière en statut du Commandeur, une organisation technique et sociale complexe, avec ses hiérarchies explicites et implicites, ses tabous, ses clans, ses non-dits. Un lieu de mémoire qui doit aussi être un lieu de découverte. Un mélange presqu’inextricable d’apparente démocratie, de privilèges farouchement protégés, de traditions et de nouveautés. Un monde fragile où cohabitent comédiens écorchés vifs, artisans de corps de métier au savoir-faire exceptionnel, un personnel difficile à gérer; un monde apparemment fermé sur lui-même, mais que perfusent discrètement les courants sociaux et politiques de l’extérieur. Au total, cela tient tout à la fois du cabinet préfectoral, de la PME, du musée, du zoo, du monastère et de l’hôpital spécialisé. La Comédie-Française ou l’amour joué est aussi une comédie humaine. Et bien sûr, une métaphore de la société française dans son ensemble. Nous savons depuis longtemps que all the world’s a stage. Avec un sourire aimablement ironique, Frederick Wiseman nous en apporte une nouvelle preuve.